Quelle menace la Chine représente-t-elle pour les États-Unis ?

Au cours des dernières décennies, la Chine a souvent été présentée comme l’ennemi économique numéro un des États-Unis. Son entrée dans l’OMC en 2001 a coïncidé avec un effondrement de la part de marché mondiale des produits américains, que la baisse du dollar n’a pas réussi à atténuer.

Par son avantage comparatif indéniable en matière de coût salarial, la Chine a non seulement détruit les industries manufacturières locales peu sophistiquées mais aussi entraîné une vague massive de délocalisations. Enfin, sa politique de taux de change (quasi) fixe s’est traduite par une accumulation de réserves sous la forme de bons du Trésor américains. Par ce fait, la Chine « tiendrait » financièrement les Etats-Unis étant désormais, juste devant le Japon, le premier détenteur étranger de treasuries.

Tout ça, pourrait-on dire, c’est de l’histoire ancienne. Romney a eu beau évoquer par deux fois le « financement chinois » du déficit, la menace chinoise s’estompe. Ce n’est pas tant que l’Amérique se rebiffe, mais plutôt que la Chine ne parvient pas à « reformater » son modèle de croissance.

L’équation est simple pour la Chine : il lui faut rééquilibrer sa croissance en faveur de la demande intérieure, donc de la consommation. Pour ce faire, elle doit sortir de la logique investissement/exportation qui prévaut depuis plus de 15 ans. Facile à dire. Possible à faire. Mais sûrement pas en quelques trimestres.

Pour que les ménages consomment plus il faut laisser le taux de change s’apprécier : cela se traduira par une baisse des prix des biens importés. Or, face au ralentissement récent, les autorités chinoises ont plutôt favorisé une dépréciation du yuan face au dollar. Il faut aussi que les salaires augmentent plus vite que la productivité. C’est déjà le cas, avec des conséquences assez mauvaises pour l’économie. Non seulement les ménages épargnent le supplément de revenu (même si les taux offerts sont très faibles), mais les profits des entreprises (surtout celles intensives en main d’œuvre) en pâtissent, comme le montre le graphique ci-dessous.

La seule option de politique économique porte sur l’arbitrage entre appréciation et hausse des salaires, décision dont les impacts sectoriels sont importants (sur les ménages, les entreprises capitalistiques ou intensives en main d’œuvre…). Elle doit aussi s’accompagner d’un réel développement des services à un moment où plusieurs industries sont déjà proches de la maturité.

Il faudrait donc, pour un rééquilibrage efficace de la demande intérieure, que ces mesures s’accompagnent d’une montée en gamme des produits chinois. Car tout rééquilibrage (hausse des salaires, appréciation du change, voire hausse des taux d’intérêt pour accroître les revenus d’épargne), est coûteux pour les entreprises. Or l’amélioration de la qualité et du degré d’innovation des produits fabriqués est un processus long, qui prend plusieurs années.

Est-ce pain béni pour les États-Unis ?

Dans une certaine mesure oui, car la hausse des coûts de production en Chine et la logique de rapprochement du consommateur final a déjà bénéficié à l’industrie américaine.

Mais si la Chine perd en compétitivité, il y aura toujours quelques pays (le Vietnam a déjà commencé) pour prendre le relais dans la course aux exportations de produits intensifs en main d’œuvre. En outre, une appréciation du yuan (ou une baisse de l’épargne domestique) sera synonyme de moindres excédents commerciaux et donc, d’accumulation de réserves par la banque centrale chinoise. Pour les États-Unis, cela veut dire la disparition progressive d’un investisseur final de ses bons du Trésor.

Est-ce risqué ? Pour l’instant, mais peut-être plus pour longtemps, la Réserve Fédérale se charge de monétiser une partie du déficit public. Par ailleurs, la dynamique exportatrice (produits énergétiques notamment) ne va pas réduire le déficit extérieur des États-Unis mais diminuer sa composante structurelle.

Pour que le déficit extérieur reste durablement limité et ne soit plus un problème, il faudra s’atteler sérieusement au déficit public. Le challenge majeur du prochain président n’est pas la Chine, mais le rééquilibrage des finances publiques.

Par Alexandre Laurent

Alexandre est diplômé de la Normandy School of Business et de l'Université de Perpignan d'une maitrise d'économie en 1995.Alexandre Laurent evolue dans le secteur bijouterie et or d'investissement.

6 réponses sur « Quelle menace la Chine représente-t-elle pour les États-Unis ? »

Il y a quelque chose qui manque dans l’article: une évocation du grand projet que la Chine n’arrive pas à lancer, la protection sociale pour tous, en particulier l’assurance santé. Les Chinois aiment consommer autant que n’importe qui, mais ils épargnent comme des fous pour se garantir contre la catastrophe d’une maladie grave ou d’un accident. Ils auraient la même chose que les Français (j’exagère, mais c’est pour me faire comprendre), le monde en serait changé, pas seulement la vie des Chinois. Ils se mettraient à consommer, et les Américains seraient obligés de se remettre à produire. Quant aux autres pays à bas coût de main d’oeuvre, ils ont un grand inconvénient: ils ne sont pas peuplés de Chinois, et on ne réinvente pas Foxconn rien qu’en le disant.

Mon discours est décousu, votre ton est péremptoire, on est fait pour s’entendre.
Disons qu’avoir une activité professionnelle oblige à passer vite fait sur l’écriture, voire souvent à ne répondre que rarement.

Je ne vois pas en quoi l’investissement public serait un problème. A moins que vous ne parliez de la propension à la mauvaise allocation du capital d’un système étatiste/planificateur, du moins relativement au marché ‘privé’ de capitaux.
Personnellement j’appelle ça une problématique de corruption généralisée (quand par exemple un cacique d’une entreprise publique obtient plus facilement un prêt qu’un entrepreneur privé sur des motivations politiques et non économiques).

Je suis d’accord pour dire que la mauvaise allocation du capital lié à un système corrompu (partie de la ‘logique chinoise’) met en péril le secteur bancaire.

Quant à la dynamique inflationniste, certes très récemment elle s’est atténuée en raison du ralentissement mondial. N’oublions pas la rapidité avec laquelle elle était montée à 6% juste après l’explosion de la bulle du crédit US et le plan de relance chinois.
Et encore on parle de chiffre publiés par les agences officielles chinoises, bref crédibilité très faible.
N’oublions pas cette bonne vieille bulle spéculative immobilière.

Exces d’epargne, parité fixe face à l’USD, systeme bancaire verolé par les creances douteuses et les investissement improductifs, mauvaise allocation du capital, bulle immobiliere, economie dependante de l’export et de l’investissement (2/3 du PIB), dynamique demographique declinante…
Ca me rappelle assez fortement le voisin japonais pré-Plaza Athenée.

Les US ne peuvent pas faire plier les Chinois comme ils ont fait plier les Japonais à l’epoque. Ils utilisent pour ce faire la politique monétaire (qui ne sert bien entendu pas uniquement ce but) : déprécier le dollar et attiser les tensions inflationnistes en Chine (canal de transmission : liquidité mondiale, prix des matieres premieres, creation monetaire dela BC face à l’afflux de dollar pour maintenir la parité).
Certes mesurées pour le moment, mais honnêtement la Chine a t’elle envisagé récemment un grand plan de relance (inflation liée à l’accroissement de la dépense publique blabla évitons le cours de macro) ? Je crois que non, effectivement echaudé par la rapidité à laquelle l’inflation avait progressé suite au precedent.

Entre inflation si relance, donc mecontentement social, et chomage si ralentissement economiqu , donc mecontentement social, je vois mal la Chine dans les prochaines années. Augmenter la part de la consommation des menages ? Ca veut dire relance. De tte façon les t-notes sont invendables. Mettre en place des institutions sociales de nature à permettre une progression du PIB/tete par reduction du taux d’epargne, ca veut dire liberer la population progressivement de la contrainte de survie (ne me parlez pas des quelques rares % superieurs qui vivent comme les occidentaux) et lui laisser le temps de reflechir à sa condition, ou du moins une fois comblées en partie les aspirations materielles de developper des aspirations et revendications politiques. Socialement explosif pour le classe dirigeante qui ne souhaite que sa reproduction sociale.

Les iles de Mer de Chine sont effectivement a mon avis seulement un objet de politique interieure. Affirmer l’integrité territoriale permet de faire taire les revendications separatistes sur les bordures exterieures (Xinjiang et Tibet par exemple). Ensuite le levier du nationalisme reste tres facile à utiliser, en Chine, pour souder la population et limiter la revolte sociale : il faut un ennemi exterieur, pour eviter de cibler l’ennemi interieur (les elites corrompu, dont les fils s’ecrasent en Ferrari sur le 4eme periph avec des prostituées à poil). Rien de plus facile que le Japon comme ennemi exterieur, vu son passif avec le pays. Enfin cela montre qu’à un moment difficile de transition le regime est fort et est capable de diriger le pays.

Il parait assez clair que la Chine est dans un ‘coin’ dont il sera très difficile de sortir.

Les 3.2 tr USD de « reserve » c’est du flan, d’une parceque la politique inflationniste et de dépréciation du dollar des US au travers du QE va la grignoter, ensuite parce qu’au moment de vendre les t-notes la valeur se dissipera, soit par dégringolade du USD, soit par mouvement de défiance des acteurs du marchés qui se traduira par une remonté des taux. C’est comme pour le Japon c’est invendable comme actif.

Les tensions inflationnistes liée à la transmission de la politique monétaire laxistes US (qui a dit Mundell ?) sont destructrices pour l’assise du pouvoir neo-imperial (car oui le ‘communisme’ n’a juste qu’été une rotation des classes dirigeantes et ne modifient pas la logique de cour impériale, on en voit les effets très fréquemment au travers des frasques de la descendance des caciques du régime), mais d’un autre coté la lutte contre l’inflation tuera la principale source de croissance chinoise a savoir l’export bas de gamme.
Pareillement reduire le taux d’epargne et faire « monter en gamme » la population et donc ses aspirations politiques aboutira à une remise en cause de la logique chinoise qui prévaut jusque là (fuite en avant totale, croissance folle sans logique environnementale, corruption à tous les étages, absence d’institutions protégeant les individus de base …)

A mon avis la Chine va rester dans le « piege du revenu intermédiaire » ou « middle income trap », et je pense honetement que l’on assistera à un renfermement pour éviter l’explosion sociale et la dislocation territoriale (rien qu’a voir la hargne a conserver les iles bidules en Mer de Chine en dit long sur la neccesité d »etre inflexible sur les frontieres, message au Ouïghour et aux Tibetains …).

Dans 10-15 ans je suis pret à parier que les USA seront tjrs la puissance dominante et le dollar US la reference.

Romain merci pour cette analyse.
Une monnaie sous evaluee entaine de l’epargne forcee. Apres on peut discuter du degre de sous/surrevaluation mais on ne peut nier le fait que l’epargne des menages est trop elevee. Votre point sur les entreprises est tres juste. J en prends note et serai ravi d’en discuter davantage. Suis joignable sur linkedin. Sur le deficit exterieur vous m’avez trop vite lu. Je dis juste que le deficit exterieur est le simple reflet du deficit public excessif. Sur ce point je pense que nous sommes d’accord. a vous lire.

La Chine qui ‘tient’ financierement les USA n’est qu’une tres grosse ficelle largement repandue en France qui aime bien le US bashing. En fait, il n’en est rien du tout. La part de la Chine dans les US Treasury Bills n’est que de 7%. Environ 70% sont detenus par les Americains eux meme (particuliers, entreprises, fonds de pensions …). Il n’y a pas de danger de ce point de vue.

article clair, ça change

celà fait des années que les « économistes » ( les mêmes qui ne voient pas les crises, qui ajustent leurs prévisions toutes les semaines, qui ne sont jamais d’accord entre eux, et sont si fort à prédire le passé…), politiques, partenaires commerciaux parlent de sous évaluation du yuan de 20 à 25 %.

Pourtant il suffit de voir l’évolution des devises pour voir que le yuan s’est déprécié de plus de 25% en 5 ans. celà n’a pas empêché le déficit us de progresser….

le china bashing étant très à la mode, la chine est accusée de ne pas suivre les règles de l’omc, pendant ce temps les usa et l’europe déversent des centaines de milliards dans le système bancaire, industrie aéronautique , automobile ou agriculture….

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *