Les choses n’ont pas traîné. En présentant ses vœux, le 31 décembre, Jacques Chirac a promis une grande loi sur l’emploi. Le ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité s’est mis au travail. François Fillon consulte actuellement les partenaires sociaux pour élaborer le texte qui devrait être adopté en juin au Parlement. C’est que la situation est grave. En décembre, le chômage touchait officiellement 2 446 500 personnes, soit une hausse de 6 % en un an.
Le principe même d’une loi est contesté. « Surtout, que l’état ne s’occupe pas d’emploi, lance Jacques Maillot, fondateur de Nouvelles Frontières. En France, au moindre problème, on légifère. Ce qui crée l’emploi, c’est la croissance, pas les pouvoirs publics. » Une vision que partagent, en privé, de nombreux leaders de la majorité. Du coup le futur texte a été baptisé « loi de mobilisation pour l’emploi ». Nuance.

« Que ce soit justifié ou non, il existe dans le pays une réelle demande d’intervention de l’état sur l’emploi, souligne le commissaire au Plan, Alain Etchegoyen. L’idée d’une loi est cohérente si elle se situe dans le cadre d’une politique qui vise à développer l’emploi dans des secteurs où la France est en retard. »
La polémique n’a pas tardé à démarrer sur le contenu du projet. Exemple le plus frappant : François Fillon avait d’abord retenu une proposition du rapport de Michel de Virville, qui préconisait la création du « contrat de projet », un contrat de travail conclu pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans. Le tollé a été tel que le ministre a préféré faire machine arrière.
François Fillon a déjà annoncé qu’il souhaitait accorder une seconde chance aux 120 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans le moindre diplôme. De même il envisage d’assouplir le Code du travail et réfléchit très sérieusement à un remodelage du service public de l’emploi. Si le ministre consulte beaucoup en ce moment, il n’est pas le seul à avoir des idées. Le Figaro Entreprises en a recueilli 60 auprès de dirigeants d’entreprise, d’hommes politiques, d’économistes. De quoi nourrir la réflexion du numéro trois du gouvernement, qui « se dit ouvert à toutes les propositions. »
1. Dépoussiérer le Code du travail.
Maurice Lévy, PDG de Publicis, en est convaincu : trop de protection sociale tue l’emploi. Sous prétexte de protéger le salarié, la législation est devenue trop lourde. Il faut dépoussiérer le Code du travail car les chefs d’entreprise ont du mal à ajuster leurs effectifs. Donc à embaucher. « Nous ne vivons plus dans des cycles de croissance longs, dit-il. Il faut pouvoir s’adapter en permanence. »
2. Enrayer la “judiciarisation” du droit du travail.
Le législateur devrait s’interroger sur le fait que le droit du travail se « judiciarise » de plus en plus, estime Jean-Martin Folz, président de PSA Peugeot Citroën. Il conviendrait de simplifier les textes de loi, ce qui est une tâche colossale. Plus ils sont précis, dit-il, plus leur interprétation est floue. Au point que de nombreux conflits sont tranchés au tribunal d’instance. « Pour un groupe comme le nôtre, qui est un gros employeur, c’est déjà compliqué. Je ne sais pas comment le patron d’une petite entreprise peut gérer une telle complexité. »
3. Stabiliser les lois sur le travail
Pour Clara Gaymard, présidente de l’Agence française pour les investissements internationaux, notre pays a la manie de trop souvent changer sa législation sociale. En outre, tribunaux de commerce et conseils de prud’hommes ne jugent pas les affaires de la même façon. Les investisseurs étrangers craignent cette insécurité juridique. « Je voyage régulièrement pour vendre l’image de la France à l’étranger, raconte-t-elle, et je croise beaucoup d’investisseurs qui craignent cette complexité. »
4. En finir avec les “emplois bidons”
« Ne créons plus d’emplois bidons comme les emplois-jeunes, s’agace Jacques Maillot, fondateur de Nouvelles Frontières. Ne faisons pas de clientélisme. Lançons plutôt une consultation nationale entre chefs d’entreprise et partenaires sociaux pour voir ensemble comment on peut assouplir notre législation pour faciliter les recrutements et les licenciements. » Soit les partenaires sociaux s’accordent, soit l’état tranche. « Mais on ne décrète pas l’emploi, ajoute Jacques Maillot. En France, on croit toujours pouvoir résoudre tous les problèmes avec des lois. Le b.a.ba de la création d’emplois, c’est tout de même la croissance. »
5. Une flexibilité bien négociée
« Aujourd’hui, rappelle Bernard Brunhes, PDG de Bernard Brunhes Consultants, les entreprises doivent satisfaire des clients dont les exigences changent vite. » Pour créer des emplois, elles ont donc besoin de flexibilité : faire varier les horaires de travail en fonction de la demande, pouvoir demander à un salarié de changer de site, etc. « Pour être efficace, explique Bernard Brunhes, tout cela nécessite d’être négocié au plus près de la réalité du terrain, c’est-à-dire au niveau de l’entreprise. » Avec dans les grands groupes un représentant unique du personnel pour que son autorité soit incontestable.
6. Favoriser le droit à l’expérimentation
Multiplier les initiatives, prendre des mesures très différentes dans des microrégions et suivre le tout au microscope. En Italie, nombre de projets sont nés de cette stratégie ces dernières années. « Si nous avions fait de même avec les 35 heures avant de les généraliser, estime Christian Boiron, PDG des Laboratoires Boiron, nous n’aurions pas commis les erreurs que nous avons commises. Je suis favorable à la baisse du temps de travail, mais je pense qu’elle n’est pas applicable dans le commerce ou l’artisanat. »
7. Oui au contrat de projet
Ce qui choque Pierre Fonlupt, PDG de Plus (intérim, formation, services), c’est que de jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi. Même s’il est très critiqué, le contrat de mission ou de projet envisagé par le gouvernement lui semble une bonne solution. « S’il était généralisé dans le BTP, assure ce membre du comité exécutif du Medef, des jeunes, mais aussi des seniors, décrocheraient des emplois. »
8. Des cadres à temps partagé
Selon Alain Lecanu, secrétaire national chargé de l’emploi au syndicat de cadres CFE-CGC, les PME d’un même bassin d’emplois ne peuvent rémunérer à plein temps un directeur des ressources humaines ou un directeur de la communication. Elles devraient pouvoir se regrouper pour se « partager » des cadres. « Ce n’est pas difficile, dit-il. Il faudrait cependant revoir la réglementation des groupements d’employeurs. » En effet, pour que la formule se développe de façon significative, il faut qu’elle change de statut juridique. Actuellement, il est impossible pour un salarié embauché par un groupement d’employeurs de bénéficier d’une convention collective, d’une formation ou de congés payés.
9. Travailler dans plusieurs entreprises
Deux entreprises dont la saisonnalité ou le cycle de production sont complémentaires devraient songer à conclure un seul contrat avec un intérimaire, propose Jean-Pierre Gauthier, consultant chez ASG. Cela permettrait de lutter contre la précarité des intérimaires, qui auraient un contrat inscrit dans la durée. « Il existe un tel accord entre Liebig et Orangina, explique Jean-Pierre Gauthier. Pour Liebig, le pic d’activité est en hiver, alors que pour Orangina, c’est en été. »
10. Instaurer la “job rotation”
C’est une pratique très développée au Danemark, explique Sylvain Breuzard, président du Centre des jeunes dirigeants (CJD) et PDG de Norsys. Quand une salariée part en congé maternité, elle est remplacée par un demandeur d’emploi et l’entreprise bénéficie de réduction de charges. « Grâce à cette « job rotation », les chômeurs remettent le pied à l’étrier, poursuit le chef d’entreprise, ils reprennent confiance et trouvent ensuite plus facilement un travail de longue durée. »
11. Prêter des salariés pour ne pas licencier
Dans sa région, le canton d’Obernai-Molsheim, en Alsace, quand une société a une réduction de ses commandes, elle ne licencie pas tout de suite. Elle prête du personnel aux entreprises voisines pendant quelques mois, explique Jean-Loup Perton, président du directoire du fabricant de cheminée Supra. Elle leur facture très exactement ce que coûtent ses collaborateurs (leur salaire plus les charges sociales). « Ce dispositif est classique en Alsace. Toute la France aurait intérêt à l’adopter », conclut Jean-Louis Perton.
12. Réveiller les projets dormants
Beaucoup de PME ont des projets un peu flous, qu’elles ne mènent pas à bien faute de compétences, rappelle Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). A Vendôme, dans le cadre de l’Ismer, institut de développement d’activités nouvelles qu’il a fondé, il a initié une action originale : des cadres chômeurs sont détachés pendant six à huit mois dans des entreprises pour valider l’adéquation de ces idées à un véritable marché. « Pour les employeurs, détaille Michel Godet, ce n’est pas très coûteux : 460 à 610 euros. Les collectivités locales versent une aide. Le demandeur d’emploi touche ainsi la même somme que s’il n’avait pas d’activité et augmente ses chances de retrouver un poste. » Avec cette formule, 400 emplois ont été créés en dix ans dans une ville de 18 000 habitants. « Ce système, déjà pratiqué dans cinq régions », devrait être généralisé, plaide l’économiste.
13. Pourvoir les postes vacants
En France, 350 000 emplois ne trouvent pas preneur. « Par exemple, dit Jean-Claude Seys, président de la Maaf et de la MMA, il manque 1 000 ophtalmologistes ou, dans la seule Bretagne, 900 ouvriers du bâtiment… » Pour les jobs à faible qualification, il s’agirait de revaloriser les salaires : aujourd’hui, la différence entre les revenus du travail et les revenus du chômage n’est pas assez importante pour convaincre certains demandeurs d’emploi de reprendre un travail. Pour les métiers très qualifiés, pourquoi ne pas confier la partie la plus simple du travail à des professionnels dont la formation est plus courte.
14. Réunir recruteurs et demandeurs d’emploi
Christian Sautter, ancien ministre de l’économie et des Finances, aujourd’hui maire adjoint de Paris chargé des finances, raconte comment, en octobre, la Ville a organisé une rencontre de demandeurs d’emplois, de DRH, de chefs d’entreprise et de représentants de branches d’activité en quête d’employés. Au total, 8 000 entreprises étaient représentées, 25 000 visiteurs sont venus, 60 000 CV ont été déposés. « Nous avons dressé un bilan de l’opération, dit Christian Sautter. Plus de 2 300 personnes ont déjà été recrutées. Au total, 3 000 devraient l’être dans les jours qui viennent. » Accor a ainsi embauché 30 personnes, Carrefour aussi, Kelly-Services, 100. « Il faut généraliser ce type d’initiatives », estime l’élu.
15. Encourager la mobilité géographique
Quand la société Bonduelle a fermé une usine en Loire-Atlantique, à peine 10 ouvriers sur 120 ont accepté de quitter la région pour travailler dans un autre site du groupe. « Pour favoriser la mobilité, propose Christophe Bonduelle, président du directoire de la société, l’Etat devrait verser une prime incitative. » Elle pourrait être égale au prix de plusieurs billets de train ou de trajets en voiture pour revenir régulièrement au pays.
16. Faciliter le recours à l’intérim
« Nous devons accepter l’idée que l’emploi à vie ne correspond plus à la réalité du travail aujourd’hui, explique Jean-Martin Folz, président de PSA Peugeot Citroën. Sans tomber dans l’excès, c’est-à-dire l’emploi jetable, il me paraît urgent de faciliter l’appel à des salariés en fonction de la charge. » Les conditions de recours au travail temporaire pourraient être assouplies. Un industriel a besoin en permanence d’ajuster ses effectifs en fonction des commandes (dans l’automobile, par exemple, la saisonnalité des ventes est très forte) ; or, si une entreprise n’a pas la possibilité de réguler par l’intérim, elle le fera d’un pays à l’autre. « Cela se révélerait très coûteux pour l’emploi dans notre pays, ajoute Jean-Martin Folz. Le sujet est majeur : il faut tout faire pour conserver en France, comme nous le faisons, des emplois pour les personnes peu qualifiées. »
17. Rapprocher l’ANPE et l’intérim
Il est grand temps de rapprocher les agences locales de l’ANPE et les 6 000 agences d’intérim du pays, observe Pierre Fonlupt, PDG de Plus. « Cela ne se pratique qu’à une toute petite échelle, regrette-t-il. C’est dommage car c’est très pertinent en termes de création d’emplois. »
18. Intégrer des chômeurs dans l’entreprise
Maurice Lévy, président de Publicis, pense qu’il est urgent de s’occuper des chômeurs de longue durée non qualifiés. « Il faut les intégrer dans nos entreprises », dit-il. Ils seraient formés pendant deux ou trois ans. En apprentissage chez l’employeur la moitié du temps, il suivrait une formation pendant le reste du temps et en formation l’autre moitié. L’entreprise leur verserait un salaire équivalent à la moitié du smic. En échange, elle bénéficierait d’une franchise de charges. « Nous devrions lancer un vaste chantier en ce sens, propose Maurice Lévy. Compte tenu du nombre des entreprises françaises, on pourrait rapidement prendre en charge 100 000 jeunes. »
19. Que chacun aide un chômeur
Pour Sylvain Breuzard, président du Centre des jeunes dirigeants, tous ceux qui ont un emploi et des situations confortables devraient s’engager à suivre un chômeur, l’aider à écrire son CV, préparer un entretien, le soutenir dans sa démarche. « Cela ne coûte rien mais cela redonne confiance. Et quand on a confiance, on retrouve plus aisément un emploi. »
20. Remplacer les cotisations sociales par la TVA
Dans une économie mondialisée, les consommateurs français achètent des articles moins chers que ceux qui sont fabriqués en France. Les produits français sont plus chers en raison du coût du travail élevé. Pour que les prélèvements sociaux ne handicapent pas les entreprises, Henri Guaino, ancien commissaire au Plan, propose de faire financer les cotisations sociales par la TVA. Ce serait pour le coup une réforme radicale mais très compliquée à mettre en œuvre.
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