LES ÉPARGNANTS qui détiennent un contrat en euros ont-ils intérêt à le transformer en multisupports ? La loi Breton votée cet été les y autorise. Une instruction fiscale a précisé début novembre les règles du jeu. C’est simple : l’épargnant doit signer un avenant à l’ancien contrat ou transférer l’intégralité de son capital sur le multisupport proposé par son assureur (impossible d’en profiter pour changer d’établissement). En pratique, la plupart des compagnies d’assurances proposent seulement le transfert.
Aujourd’hui, la machine est lancée. La célèbre association d’épargnants Afer vient par exemple d’écrire à ses adhérents pour les informer de cette nouvelle liberté. Quelque 700 d’entre eux ont déjà décidé de franchir le pas. D’autres assureurs se montrent moins pressés. Chez Azur GMF, la bascule devrait démarrer. Aux AGF ou chez Groupama, elle aura lieu tout au long de l’année prochaine.
Un virage vers la Bourse
Car il n’y a pas urgence. La loi ne fixe aucune date limite pour opérer ces conversions. Les assureurs peuvent prendre le temps d’adapter leurs outils informatiques et de conseiller leurs clients. « Il n’est pas question de pratiquer des transformations massives. Nous devons rencontrer les assurés pour voir si cette bascule répond à leurs objectifs patrimoniaux », explique Joaquim Pinheiro, directeur technique vie chez Azur GMF. Un leitmotiv repris par beaucoup d’assureurs.
Convertir un contrat en euros en multisupport offre bien sûr des avantages.
Les épargnants y gagnent la liberté de diversifier leur capital sur d’autres supports que le fonds en euros, dont le rendement décline. Ils préservent les avantages fiscaux acquis : même après un transfert, les dates initiales de souscription du contrat et des versements sont conservées. Au passage, ils profitent même d’un bonus sur les prélèvements sociaux (CSG, CRDS…), qui s’élèvent aujourd’hui à 11%. Car ceux-ci sont ponctionnés chaque année sur les intérêts servis sur un contrat en euros, mais seulement lors des retraits sur un multisupport. Jusque-là, les gains réalisés continuent donc de fructifier dans leur intégralité, ce qui améliore le rendement net. Mieux, si le contrat se dénoue au décès de l’assuré, il est exonéré de ces prélèvements. Mais, en contrepartie de ces avantages, l’épargnant tenté par la bascule doit se plier à une contrainte : selon l’instruction fiscale, « pour respecter l’esprit de la loi », il doit placer, sur un support investi « notamment en actions », une part « significative » de son capital. Le chiffre de 20% est cité comme une référence. Les compagnies d’assurances se sont engagées à le respecter.
« Il est donc important d’expliquer à nos clients que, s’ils transforment leur contrat, ils quitteront la sécurité absolue qu’offre le contrat en euros pour prendre plus de risques. En échange, ils peuvent espérer une performance supérieure sur longue période», précise Laurent Doubrovine, directeur technique et produits vie aux AGF. Une perspective qui peut intéresser les clients encore jeunes et peu investis en actions, par exemple. « Mais elle n’est pas forcément séduisante pour des épargnants âgés adverses au risque, ou qui privilégient notamment la transmission de leur capital», souligne Jean-Claude Chaboseau, directeur des partenariats individuels grand public à la CNP, qui gère les contrats de La Poste notamment.
Les précautions à prendre.
Les règles du jeu ne sont toutefois pas rigides. Par exemple, le quota de 20% sur les supports en actions doit être respecté seulement lors de la conversion. Rien n’interdira donc de revenir vers le support en euros quelques années plus tard si on le souhaite. «Toutefois, les épargnants qui décideraient d’abandonner le support en actions peu de temps après la transformation, sans motif valable, prendraient un risque de redressement fiscal», précise Laurent Doubrovine. Ils pourraient en effet être soupçonnés d’avoir converti leur contrat en multisupport pour le seul avantage obtenu ainsi sur les prélèvements sociaux.
«L’instruction ne définit pas non plus ce qu’est un «support investi notamment en actions». Par prudence, nous orienterons donc le capital de nos assurés vers des fonds qui comptent au minimum 50% d’actions, y compris nos fonds profilés Equilibre», souligne Pierre Beaumin, directeur assurance-vie individuelle chez Groupama. D’autres assureurs, en revanche, pensent accepter les transferts vers des supports de profil «Prudent» qui souvent comptent autour de 15% à 20% d’actions seulement.
Avant de franchir le pas, les épargnants auront aussi à prendre quelques précautions. D’abord, vérifier le coût de l’opération, car les assureurs n’excluent pas de facturer des frais de transfert. Et comparer l’ancien et le nouveau contrat. Certains vieux contrats en euros affichent en effet de précieuses garanties de rendement (3% à 4,50% jusqu’au terme du contrat, par exemple) absentes sur les nouveaux produits.
La baisse des rendements se poursuit inexorablement.
Combien rapporteront cette année les contrats en euros ou leurs alter ego, les fonds en euros proposés dans les multisupports ? Pour la plupart d’entre eux, les compagnies n’annonceront les rendements qu’en janvier prochain. Mais les pronostics ne sont guère encourageants.
L’an dernier, les rendements des bons contrats, chez les assureurs traditionnels, grimpaient encore autour de 4,50% ou de 4,70%. Les bancassureurs, eux, offraient souvent seulement autour de 4% à 4,20%. «Le seuil des 4% n’est pas une barrière infranchissable. Cette année, certains contrats passeront certainement en dessous», explique Jean-Claude Chaboseau, directeur des partenariats individuels et grand public à la CNP. La baisse régulière observée depuis plus de dix ans se poursuit donc. Motif ? Les fonds et contrats en euros sont adossés pour l’essentiel à des obligations conservées jusqu’à l’échéance. Dans les portefeuilles, les assureurs ont encore des stocks de titres achetés depuis de nombreuses années, qui versent encore 7% ou 8% par an. Mais ils viennent progressivement à échéance et sont remplacés par des obligations nouvelles, qui servent moins de 4%. Les emprunts d’état à dix ans achetés en rapporteront ainsi entre 3,70% et 3% seulement pour les dix ans à venir. Et c’est aussi à ces taux décevants qu’est investie la collecte nouvelle (les nouveaux versements réalisés par les épargnants, diminués des retraits sur les contrats).
Bilan : les obligations les plus rentables sont progressivement «diluées» dans les portefeuilles.
«Cette érosion naturelle entraîne une baisse mécanique du rendement des fonds en euros de l’ordre de 0,50% par an. On peut l’amortir grâce à une bonne gestion financière, mais pas l’arrêter», explique Eric Duval de la Guierce, président du directoire d’Aviva Gestion d’actifs, l’assureur qui gère notamment le contrat Afer.
Une érosion naturelle.
Pour limiter le choc, certaines compagnies ont dans le passé aussi mis en réserve une partie des gains financiers. Elles sont tenues de les reverser aux assurés dans un délai de huit ans. Si elles puisent dans cette enveloppe, elles pourront donc limiter la déception de leurs clients sur les rendements. Même espoir pour les assureurs qui ont choisi de diversifier assez largement leurs investissements en Bourse. Celle-ci a gagné plus de 19% depuis janvier. «Les actions représentent entre 10% et 12% du portefeuille de nos fonds en euros, et cette année nos clients vont bénéficier de cette dynamique», souligne Joaquim Pinheiro, directeur technique vie chez Azur GMF. D’autres assureurs, en revanche, n’ont misé qu’à 3% ou 4% sur les actions et profiteront moins de ce rebond.
«Au total, on peut s’attendre en moyenne sur le marché à une baisse de l’ordre de 0,20% à 0,30% des rendements», conclut Pierre Beaumin, directeur assurance-vie individuelle chez Groupama. ? Le salut pourrait venir des conversions de contrats en euros en multisupports. Si de nombreux épargnants transfèrent à cette occasion leur épargne sur des sicav et FCP en actions, cela réduira la collecte nette sur les fonds en euros. La dilution des obligations les plus rentables sera limitée. Et les rendements mieux préservés.